Échec
En 1972, peu après la guerre de libération, CARE m’a envoyé au Bangladesh, “un pays qui fait penser à une empreinte digitale dans un vaste continent” comme l’a décrit avec tant d’éloquence Tahmima Anam. Je devais travailler à un projet coopératif pour l’usage de propriétés inoccupées comme logements (self-help housing). Nous fournissions les plans, les matériaux et l’assistance technique pour aider les gens à construire eux-mêmes, à faible coût, des maisons pouvant résister aux cyclones. Nous avons importé des milliers de tonnes de ciment et assez de feuilles de tôle ondulée pour couvrir une dizaine de terrains de football. Le projet était colossal, mais il a échoué. Les maisons furent construites, mais les coopératives – qui étaient sans doute l’élément le plus important parce qu’elles visaient à générer des fonds destinés à l’emploi et au développement agricole à long terme – échouèrent lamentablement. Nous avions un grand bureau à Dhaka – ou Dacca – beaucoup de jeeps, de camions et de hors-bord en plus d’un personnel international nombreux débordant d’énergie et de bonne volonté. Notre seul problème, c’était que nous n’avions à peu près aucune idée de ce que nous faisions.
Pendant qu’à Dhaka je commandais du ciment en quantité industrielle de Thaïlande, une toute petite organisation se formait à l’autre bout de la ville et dans les régions rurales reculées de Sylhet, au nord. Je me souviens d’avoir rencontré Fazle Hasan Abed au moins une fois en 1972 ou 1973 et d’avoir entendu des gens parler de BRAC avec une sorte d’admiration. BRAC ne faisait rien de remarquable à cette époque qui puisse inspirer une telle attitude, mais tout était remarquable en ces terribles années d’après-guerre. Ce qui frappait les gens, c’était que BRAC était un organisme de développement bangladais, une chose inimaginable dont peu de gens de l’extérieur avaient entendu parler.
Au fil des ans, j’ai eu la chance de retourner au Bangladesh à plusieurs reprises, souvent pour travailler avec BRAC à la conception d’un projet, à une évaluation ou à un rapport. À chacune de mes visites, l’organisme avait évolué. Il y avait toujours du nouveau : dix mille nouvelles écoles, une laiterie, une université, un traitement efficace contre la tuberculose. En 2007, les micro-prêts à vocation sociale accordés par BRAC atteignaient un milliard de dollars. Un milliard. Ce qui est remarquable, c’est que BRAC a remporté tous ces succès dans un des climats les plus hostiles du monde, aux niveaux météorologique, économique et politique. Aujourd’hui, BRAC implante son modèle dans d’autres pays d’Asie et d’Afrique.
Apprentissage
Le projet d’habitation de CARE a échoué parce que nous étions pressés et présomptueux, nous n’avions pas une connaissance suffisante de la culture et de l’histoire de la région, et nous avons négligé le travail préparatoire qui aurait pu nous aider à prévoir ce que nous allions apprendre plus tard à nos dépends. BRAC aussi a dû faire son apprentissage, que ce soit par l’étude, l’expérimentation et même l’échec. Contrairement à ceux d’entre nous qui ont quitté le Bangladesh pour d’autres projets, BRAC est resté. Grâce à l’expérience acquise et à la mise en application des leçons apprises, ses activités se sont étendues et BRAC est maintenant sans doute l’un des organismes de développement qui a le plus d’impact au monde.
Le monde du développement n’est pas cartographié. Si nous savions comment éradiquer la pauvreté, nous l’aurions fait depuis longtemps. Pourtant, la gestion de ce genre de projets se fait toujours en prenant le moins de risques possible; les donateurs exigent des résultats et sanctionnent l’échec. Les projets de développement ne doivent pas simplement éviter les risques encourus lors de l’exploration de nouvelles méthodes et rejeter les échecs. On doit apprendre, se souvenir de ce que l’on a appris et l’appliquer. C’est ce qui distingue l’information, dont nous sommes aujourd’hui inondés, et le savoir, dont nous n’aurons jamais assez.