Échec
Eh oui, à peine ai-je publié un article sur l’échec et la façon dont nous l’assumons et en tirons nos leçons (en anglais) que je tombe sur un échec important dont je suis l’auteur, et dont je peux apprendre. Quelle ironie.
Comme le savent plusieurs d’entre vous, je travaille au Ghana depuis 1997. J’y ai passé une vingtaine de mois; ma dernière visite sur le terrain date d’un certain temps (chose à laquelle je devrai remédier) et, en fait, mon dernier voyage de recherche significatif remonte à l’été 2006. Ces travaux et les recherches sur le terrain qui l’ont précédé ont été à un tel point riches en révélations que je suis encore en train de les analyser. Dans le cadre de cette analyse, je suis d’ailleurs tombé sur un livre qui explique pourquoi le développement ne répond pas comme nous nous y attendons et fait une réflexion approfondie (plutôt théorique) sur le cadre de subsistance que plusieurs, dans le secteur du développement, utilisent pour évaluer comment les gens gagnent leur vie.
Une de mes importantes découvertes (du moins, selon certains de mes collègues possédant plus d’ancienneté que moi) est que l’inéquation et l’injustice (dépendant de la façon dont on les regarde) ne sont pas des produits fortuits d’une « information erronée » ou d’une « fausse connaissance » des stratégies de subsistance; elles font partie d’un tout, du moyen que trouvent les gens pour gagner leur vie. (Pour lire l’article à ce propos, cliquez ici; pour en savoir plus sur les travaux connexes, cliquez ici et ici. Vous pouvez également lire une longue réflexion sur ce sujet dans l’ouvrage Delivering Development.) L’une des contraintes qui font partie des réalités concernant les moyens de subsistance des villages où j’ai travaillé est ce besoin d’atteindre un équilibre entre les besoins matériels d’une maisonnée et la nécessité sociale que l’homme gagne plus d’argent que sa conjointe. Je possède d’abondantes données empiriques démontrant la véracité de cet énoncé et comment cela se répercute dans l’agriculture (un domaine qui représente généralement environ 65 % des revenus d’une maisonnée).
Autrement dit, je sais très bien que les hommes sont sensibles lorsqu’il s’agit de donner une occasion aux femmes d’être plus productives, puisque cela remet en question l’un des deux préceptes qui régissent leurs moyens de subsistance. Certes, c’est quelque chose que j’ai compris pour la première fois autour de 2007, mais je n’ai pu revenir systématiquement sur cet aspect que très récemment (c’est à dire dans le contexte de mes articles sous révision); néanmoins, c’est quelque chose que je savais.
Pourtant, cela m’a complètement échappé quand j’essayais de mettre en place un projet d’amélioration dans ce village où je travaillais. Eh oui; moi même, je n’ai pas intégré mes propres leçons à mon projet.
Que s’est il produit? Après mes études sur le terrain, en 2006, je disposais de fonds pour mettre en œuvre un projet d’amélioration dans un village; je souhaitais que les résidents de Dominase et de Ponkrum décident eux mêmes du projet et, dans la mesure du possible, qu’ils en fassent la conception. Nous avons eu plusieurs réunions avec la communauté pendant lesquelles nous nous écartions du sujet (comme cela arrive parfois) et au cours desquelles les opinions exprimées provenaient surtout des hommes. Cependant, à la fin d’une de ces réunions, l’un de mes exceptionnels collègues ghanéens de l’University of Cape Coast (UCC) a eu l’idée de s’éloigner subtilement de notre groupe et aller se joindre à un groupe de femmes pour discuter avec elles. Je l’avais vu faire, mais je n’ai rien dit. Au bout de quelques minutes, il est revenu et, en passant, m’a dit : « Il faut que nous construisions une garderie. » Kofi avait réussi à justifier le besoin pour les femmes d’avoir une garderie, un plan beaucoup plus pratique et réalisable que tout autre plan qui nous avait été suggéré. Au cours de la réunion suivante avec la communauté, nous avons proposé ce projet et personne ne s’y est opposé; nous avons donc discuté des détails du projet. Quand je suis parti, à la fin de la campagne d’exploration, j’étais persuadé que nous pouvions construire cette garderie et lui trouver du personnel.
Apprentissage
Cinq ans plus tard, il n’y avait aucun développement dans ce projet. On avait moulé les blocs de terre, mais personne n’avait libéré l’espace où il était prévu que soit construite la garderie. L’argent n’a jamais été en cause; mes collègues de UCC se sont régulièrement informés. Chaque fois, ils repartaient avec des promesses que quelque chose se mettrait en branle, mais ça ne s’est jamais produit. Je ne blâme pas l’équipe de UCC; c’était à la communauté de mobiliser de la main d’œuvre pour participer au projet, et à prendre la responsabilité de l’entretien à long terme de la structure. C’est donc la communauté qui était en cause; elle ne l’a tout simplement jamais bâtie.
Toutefois, ce n’est qu’hier, en discutant de tout cela avec un collègue, que l’évidence s’est subitement imposée à mon esprit : avec une garderie en place, les restrictions limitant la productivité et les revenus des femmes diminueraient. La garderie permettrait donc aux femmes d’augmenter leurs revenus; par contre, elle n’offrirait aucun avantage pour les hommes, puisqu’elle n’aurait pas sur leurs revenus les mêmes répercussions. Je possède des données solides pour démontrer que les hommes feront en sorte de contrôler toute augmentation dans le revenu de leur conjointe susceptible de menacer l’ordre social de la maisonnée, même si cela doit entraîner une baisse du revenu de la maisonnée et une réduction de son pouvoir d’achat en nourriture.
Pourquoi, oh, pourquoi donc ai je un instant pensé que des hommes permettraient que cette garderie soit construite? Bien sûr qu’ils ne le permettraient pas.
Je peux invoquer des prétextes pour ne pas avoir pensé à ça entre 2006 et 2008 puisqu’à l’époque, j’étais encore en train d’étudier leurs moyens de subsistance. Depuis trois ans, toutefois, je connais ce comportement fondamental dans leurs règles de subsistance, et je suis au fait de toute l’importance que revêt cet aspect de leur subsistance, même dans des situations de changement comme lors de travaux routiers. Mais toutes ces années pendant lesquelles j’examinais comment d’autres interprétaient à tort les moyens de subsister et mettaient sur pied des concepts d’intervention inadéquats, j’étais moi même en train de faire exactement la même chose.
Médecin, guéris toi toi même.